Treize
LE DOSSIER DES SORCIERES MAYEAIR
Note du traducteur concernant les parties I à IV
Les quatre premières parties de ce dossier ont été écrites par Petyr Van Abel pour le Talamasca. Elles sont rédigées en latin, ou plutôt dans notre code latin, une forme de latin qu’utilisait le Talamasca du XIVe au XVIIIe siècle pour tenir ses épîtres et notes à l’abri des regards indiscrets.
Stefan Franck était alors le chef de notre ordre et la majeure partie du récit lui est adressée, dans un style simple, intime et parfois informel. Toutefois, Petyr Van Abel n’a jamais perdu de vue qu’il écrivait pour les archives et s’est toujours donné la peine de tout expliquer et clarifier à l’attention du lecteur non averti. On comprend donc pourquoi, par exemple, alors que son correspondant vit au bord d’un canal à Amsterdam, il fait la description dudit canal.
Si la vision que Petyr a du monde paraît étonnamment « existentielle » pour l’époque, il suffit de relire Shakespeare, qui avait écrit près de soixante-quinze ans plus tôt, pour constater que les penseurs de l’époque étaient athées, ironiques et existentiels. Il en va de même pour l’attitude de Petyr vis-à-vis de la sexualité. La grande répression du XIXe siècle nous fait oublier parfois que les deux siècles qui ont précédé étaient bien plus libéraux dans le domaine de la chair.
Quant à la biographie de Petyr Van Abel, presque une légende, elle est racontée dans un dossier portant son nom et se composant de dix-sept volumes comprenant la traduction intégrale de tous ses écrits, de tous les cas qu’il a étudiés et dans l’ordre chronologique où ils ont été rédigés.
Nous possédons également deux portraits de lui peints à Amsterdam, dont l’un a été commandé à Franz Hais par Roemer Franz, notre directeur de l’époque : Petyr est un grand jeune homme blond au visage ovale, au nez proéminent, au front haut et aux grands yeux inquisiteurs. L’autre portrait, peint vingt ans plus tard par Thomas de Keyser, révèle une stature plus imposante et un visage plus plein, bien qu’étroit, une moustache et une barbe bien entretenues et de longs cheveux blonds bouclés sous un chapeau noir à large bord. Sur les deux toiles, Petyr apparaît comme un homme détendu et plutôt enjoué, à la façon des portraits peints à l’époque.
Petyr a fait partie du Talamasca de sa jeunesse à sa mort, à l’âge de quarante-trois ans, comme le montrera ce dernier rapport complet écrit au Talamasca.
De son propre aveu, il n’était pas très doué pour lire dans les pensées (procédé qu’il disait ne pas aimer et dont il se méfiait) mais il était capable, par la pensée, de déplacer de petits objets, d’arrêter les horloges et autres petits « tours ».
Orphelin errant dans les rues d’Amsterdam, il eut son premier contact avec le Talamasca à l’âge de huit ans. Ayant senti que la maison mère abritait des esprits « différents », comme il l’était lui-même, il se mit à rôder autour jusqu’à une nuit d’hiver où il s’endormit sur les marches du perron. Il serait probablement mort de froid si Roemer Franz ne l’avait trouvé et ramené à l’intérieur de la maison. On s’aperçut par la suite qu’il était instruit, écrivait le latin et le hollandais et comprenait le français.
Ses souvenirs de petite enfance restèrent toujours très vagues mais il entreprit des recherches sur ses parents. Il découvrit l’identité de son père, Jan Van Abel, le fameux chirurgien de Leiden, ainsi que des écrits volumineux de sa main contenant des illustrations anatomiques et médicales fort célèbres à l’époque.
Petyr aimait à dire que notre ordre était à la fois son père et sa mère. Il en fut le membre le plus dévoué.
Aaron Lightner
le Talamasca, Londres, 1954